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La Tchétchénie sous la botte de Kadyrov – Le Monde

Cet article a été publié le 21 novembre 2009 dans « Le Monde magazine »

 

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Puisque Ramzan Kadyrov, le jeune président de la Tchétchénie, est, comme tout le monde le sait, « le plus grand constructeur du monde », c’est un heureux hasard qui fait arriver le visiteur étranger à Grozny un 27avril, la veille du Den stroïteleï, la « Journée des constructeurs », ainsi désignée pour fêter le cinquième anniversaire du ministère du bâtiment. Tamir, un jeune attaché de presse tchétchène chargé de nous assister, le photographe Thomas Dworzak et moi, nous avait invités ce jour-là à le rejoindre au théâtre de la ville; debout à ses côtés dans le hall principal, devant un énorme piano à queue rutilant flanqué des portraits de Kadyrov père et fils, je regardai la nomenklatura tchétchène faire son entrée, et franchir un à un les détecteurs de métaux encadrés par un cordon d’Omon, les forces spéciales du ministère russe de l’intérieur. Les chefs d’administration des districts portent de grosses Rolex en or bien voyantes et des bagues de diamants; les ministres, des chemises roses ou violet pâle avec des cravates assorties, des costumes de soie couleur crème et des chaussures pointues en peau d’alligator. Beaucoup arborent des pin’s décorés du visage de Ramzan, ou bien l’ordre de Kadyrov, une médaille en or frappée du buste de feu son père Akhmad-Khadzhi suspendue à un drapeau russe qui, vu de près, se révèle fait de rangées de diamants de couleur. Beaucoup portent aussi le pes, une calotte de velours avec un petit gland attaché à un cordon. Demandez à n’importe quel Tchétchène, il vous dira qu’il s’agit du couvre-chef national; peu semblent se souvenir qu’il était porté, il n’y a pas si longtemps, uniquement par les anciens du wird des Kounta-Khadzhi, la confrérie soufie à laquelle appartiennent les Kadyrov; maintenant, presque tout le monde en porte un. (…)

A l’entrée de Ramzan Kadyrov, entouré d’un groupe compact de gardes et de commensaux, la foule entière bondit à ses pieds pour applaudir tandis que le présentateur tonne solennellement dans son micro: « Le président de la République tchétchène, Héros de la Russie, Ramzan Akhmadovitch Kadyrov! » Une fois le Héros de la Russie assis, le spectacle peut commencer, avec tout d’abord un montage vidéo montrant les succès du ministère du Bâtiment créé par « un des tout derniers ordres signés par Akhmad-Khadzhi Kadyrov » suivi d’un très long discours lu au galop par le ministre en titre, Akhmad Gekhaïev, répétant la liste de ces mêmes succès sur le mode du rapport bureaucratique. Le discours se conclut abruptement; changeant immédiatement de maintien, souriant niaisement, Gekhaïev ajoute d’un ton à la fois gêné et fayot: « Vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai lu si vite. C’est que tout à l’heure j’ai rencontré Ramzan Akhmadovitch qui m’a demandé: « Akhmad, ton discours est long? », et quand j’ai dit oui, il a dit: « Alors lis-le vite. » » Enfin, Ramzan Akhmadovitch lui-même, « le plus grand constructeur du monde », comme nous le rappelle encore une fois le présentateur, bondit sur scène et s’empare du microphone sans fil. Alors que Gekhaïev et les autres participants s’exprimaient en russe, Kadyrov parle en tchétchène, d’une voix profonde et rocailleuse soulignée par une gestuelle expressive, suscitant rires et applaudissements grâce à ses blagues, à d’autres moments assénant avec brutalité les fondements de sa philosophie: « Si le chef est bon, alors tout est bon, les collègues, les subordonnés. » Je ne suis pas en mesure de juger son tchétchène; l’écrivain Guerman Saïdoullaev, m’a-t-on rapporté, le dit extrêmement littéraire et articulé, mais d’autres affirment qu’au contraire il est presque aussi limité que son russe, qui est, pour citer un ami, « non seulement pauvre, mais truffé de fautes grossières de genre et de déclinaisons », ce que je peux confirmer. Quoi qu’il en soit, on le sent entièrement à sa place dans cette grotesque messe rituelle, c’est une vraie bête de scène, les masses, il adore ça: à la télé, où on ne voit que lui, on le montre souvent s’arrêtant dans un village, une école ou un hôpital pour plonger dans la foule et distribuer conseils, injonctions et billets de banque, c’est comme s’il tirait directement sa fabuleuse énergie de l’amour (soigneusement orchestré) de ses sujets. Son discours est suivi d’une interminable remise de médailles, qui débute par Gekhaïev et ses proches subordonnés et s’étend à de nombreux autres, les hommes ayant droit à une poignée de main et les femmes à un bouquet de fleurs dont la taille diminue à vue d’œil au fur et à mesure que l’on descend l’échelle hiérarchique. Pour conclure, on sert au public une délégation d’artistes moscovites qui débitent des platitudes rodées lors des longues années brejnéviennes et décorent Kadyrov de médailles plus obscures les unes que les autres; un long poème sur le ministère du Bâtiment déclamé en russe par son auteur tchétchène, un certain Oumar Iaritchev (je me souviens vaguement d’un vers du genre: « Akhmad-Khadzhi dans son bureau, méditant sur la reconstruction, nomme Gekhaïev… »); et pour finir, prononcée par le président du Parlement tchétchène, Doukvakha Abdourakhmanov, une ode panégyrique à « l’homme qui s’est toujours tenu aux côtés de la famille Kadyrov et du peuple tchétchène, Vladimir Vladimirovitch Poutine ». « Gloire à Poutine! » scande-t-il au milieu d’un tonnerre d’applaudissements. Assis au centre de la foule, tandis que son image filmée est projetée sur le grand écran au fond de la scène, Ramzan rigole, applaudit, blague avec ses sbires et tripote son portable. Back in the USSR…

MAINTENIR LA PEUR

« La Tchétchénie, c’est comme 1937, 1938 », me déclare dans son petit bureau moscovite Aleksandr Tcherkassov, un des dirigeants de Memorial, la plus grande association russe de défense des droits de l’homme. « On achève un vaste programme de construction, les gens reçoivent des logements, il y a des parcs où les enfants jouent, des spectacles, des concerts, tout a l’air normal et… la nuit, des gens disparaissent. » (…) Tcherkassov, qui suit les événements au Caucase du Nord depuis la première guerre (lire la chronologie page29), m’avait décrit la « tchétchénisation », nom donné à la décision prise par Vladimir Poutine en 2002 d’installer un pouvoir tchétchène prorusse fort, principalement composé d’anciens rebelles, dirigé par l’ex-mufti indépendantiste Akhmad-Khadzhi Kadyrov, comme le « transfert du pouvoir d’exercer des violences illégales des structures fédérales aux structures locales ».
(…) Memorial est la seule organisation à collecter des statistiques systématiques sur les disparitions et les meurtres en Tché-tchénie. Même si elles sont largement inférieures à la réalité des faits – « On pense qu’on est informés d’environ 30% des cas », avance Oleg Orlov, le président de Memorial -, elles donnent une idée assez précise de l’évolution des tendances. Au moment de mes discussions avec Orlov et ses collègues, en mai et en juin, ils constataient une nette hausse pour 2009 par rapport aux années précédentes, avec un nombre de disparitions et de meurtres pour les quatre premiers mois de l’année déjà égal à celui de toute l’année 2008. Depuis des mois déjà aussi, avec leurs confrères de l’organisation Human Rights Watch, ils avertissaient que Ramzan était en train d’instituer des pratiques de punition collective. Celles-ci m’ont été décrites par une des principales collaboratrices de Human Rights Watch à Moscou, Tania Lokchina, qui en mars avait détaillé dans un rapport la plus visible de ces pratiques, l’incendie des maisons des familles des jeunes qui « partent pour la forêt », c’est-à-dire qui rejoignent la résistance islamique armée. En août2008, Kadyrov a déclaré devant son Parlement que le phénomène connaissait une forte augmentation; sa solution, comme il l’expliqua le soir même à la télévision, serait de punir les familles. (…)

Pour Memorial, la reconstruction et le développement ne peuvent pas se fonder sur le meurtre, la torture et la terreur, en Tchétchénie comme en Russie, où le régime actuel est passé maître dans l’art de faire taire la vaste majorité en tuant ou en laissant tuer de manière extrêmement sélective, tout en contrôlant tout accès à une information réelle. Ramzan, comme son maître à Moscou, sait parfaitement qu’il suffit de quelques cas pour maintenir la peur. En Tchétchénie, on peut détester Ramzan, on peut rester à la maison et se plaindre de lui entre amis sans trop de risques; mais malheur à ceux qui s’opposent à lui en public, à ceux qui deviennent ses ennemis. Ou même qui ont la malchance de connaître un peu trop bien un de ses ennemis. (…)

L’ADOUBÉ DE POUTINE

(Natalia Estemirova, une des principales activistes de Memorial à Grozny, a été enlevée le 15juillet et retrouvée morte à la frontière ingouche.) L’année dernière, Estemirova s’était permis de critiquer, à la télévision russe, la politique kadyrovienne du voile, elle avait déclaré que même si elle le mettait, par respect, quand elle rendait visite à des familles dans les villages, elle refusait de le mettre sur ses lieux de travail, à la Prokuratura (l’équivalent russe du parquet) ou bien dans les ministères, et que « le gouvernement n’avait pas à se mêler de la vie privée des citoyens ». Quelques jours plus tard, elle avait été convoquée par Ramzan, qui l’avait insultée et menacée, il lui avait lancé que les cheveux nus l’excitaient, est-ce qu’elle voulait l’exciter, si oui alors elle n’était qu’une pute, pas une femme, puis il lui avait dit, d’après Memorial: « Oui, mes mains sont en effet couvertes de sang. Et je n’en ai pas honte. J’ai tué et je continuerai à tuer les gens mauvais. Nous nous battons contre les ennemis de la République. » Natalia Estemirova, visiblement, était une mauvaise personne, une ennemie de la République. Oleg Orlov, que je connais un peu, n’est pas un homme qui perd son sang-froid ni son sens de la mesure, aussi, quand j’ai lu ce qu’il a écrit le soir du meurtre, j’ai pu mesurer toute la rage et l’amertume et la folle culpabilité qui doivent l’habiter: « Je sais qui, je suis certain de qui est à blâmer pour le meurtre de Natalia Estemirova. Nous connaissons tous cet homme. Il s’appelle Ramzan Kadyrov, c’est le président de la République tchétchène. Ramzan avait déjà menacé Natalia, l’avait insultée, la considérait comme son ennemie personnelle. Nous ne savons pas s’il a donné l’ordre lui-même ou si c’est son entourage proche qui l’a donné pour faire plaisir au chef. Et le président Medvedev, visiblement, est content d’avoir un meurtrier à la tête d’un des « sujets » [une des composantes] de la Fédération de Russie. » Orlov se sent coupable de cette mort, il le dit plus loin dans son communiqué, mais il sait aussi qui en est le responsable, et il l’affirme, il dit enfin ouvertement et à voix haute ce que tout le monde sait, que Ramzan est peut-être beaucoup de choses mais que c’est avant tout un assassin. (…)

 » Ramzan est le seul à avoir raison », me lance rhétoriquement Moussa, le défenseur des droits de l’homme tchétchène. « Il est le khoziaïn, il est le barine [le patron, le seigneur, en russe], et tous les autres doivent accomplir sa volonté. » J’avais au départ prévu d’écrire un portrait de Ramzan Kadyrov, avec sa violence, son inculture, son cynisme et ses extravagances, ses innombrables voitures de luxe, ses chevaux de course et sa dizaine de femmes, son zoo privé et son aquaparc, sa passion du billard et de la boxe, ses salles de musculation qui lui servent aussi de chambres de torture; de décrire l’espèce de bulle euphorique de succès dans laquelle lui et son entourage vivent et se déplacent à travers un pays qu’ils semblent fantasmer autant qu’ils le voient. Heureusement peut-être, je n’ai même pas pu le rencontrer, pour des raisons peu claires, si raisons il y a. (…) Si Kadyrov est bien un dictateur, tout-puissant dans son petit royaume, ce n’est pas un dictateur samostoïatelnyï, comme diraient les Russes, un dictateur tirant son pouvoir de lui-même. Tout comme feu son père, Ramzan est l’adoubé de Poutine, et son pouvoir est fondé avant tout sur la protection personnelle de l’actuel premier ministre, la meilleure krycha le « toit », euphémisme russe pour « protection » dans un pays entièrement structuré par les relations de krycha. « Ramzan a une relation très spéciale avec Poutine, ce n’est pas un secret », commente Dmitri Peskov, porte-parole de Poutine, dans son vaste bureau au sixième étage de la « Maison Blanche », où siège Poutine depuis qu’il a transmis le Kremlin à Dmitri Medvedev. « Il bénéficie d’un respect particulier de la part de Poutine, et réciproquement. » Cette relation remonte, bien entendu, à celle qu’avait instaurée Poutine avec Akhmad-Khadzhi Kadyrov à l’époque, en 2000, où il en fit son homme lige en Tchétchénie. « Poutine, élabore Peskov, a trouvé qu’Akhmad Kadyrov avait un monde intérieur très riche, la vision très ferme d’un futur possible pour la Tchétchénie. » Le « projet Kadyrov » remporta dès le début, du point de vue russe, un succès certain. Mais le 9mai 2004, lors des célébrations de la Fête de la victoire au nouveau stade de Grozny, une bombe cachée sous son siège tua Akhmad Kadyrov. Dès qu’il apprit la nouvelle, Poutine convoqua Ramzan, qui se trouvait ce jour-là à Moscou, au Kremlin: la fameuse photographie de leur rencontre, qui montre Poutine, cachant mal une moue d’ennui, face à un Ramzan choqué et au bord des larmes, encore vêtu d’une tenue de sport bleu pâle, fut tout de suite perçue comme l’image d’une cérémonie d’adoubement. [Ramzan Kadyrov, au moment de la mort de son père, était trop jeune pour prétendre à la présidence tchétchène. Il y fut enfin nommé par Poutine en février 2007, à 30 ans.]

Ramzan, dans ses efforts pour maintenir et développer son pouvoir, dans sa politique et ses pratiques, suit à la lettre la ligne tracée par son père. « Je n’ai pas de programme, le programme a été élaboré du vivant de mon père, déclarait-il début août à un journaliste de Radio Liberty. Nous accomplissons tout ce qui a été indiqué par notre premier président, aujourd’hui nous réalisons son programme entier, nous le conduisons jusqu’à sa conclusion logique. » Ce « programme », bien entendu, comprend la répression sans merci des combattants islamistes et des opposants, mais il a aussi des aspects « positifs ». Kadyrov, on ne peut pas le nier, dispose d’une certaine légitimité sociale; même si elle est grossièrement exagérée par les autorités, même si l’on ne peut savoir jusqu’à quel point elle dépasse les limites de son teïp, son clan, et même s’il est impossible de la mesurer dans un système politique qui ne connaît ni élections, ni sondages, ni presse libre, et où tout opposant déclaré est menacé, torturé ou tué, elle existe, et Kadyrov fait tout pour la renforcer. Ses efforts se concentrent sur trois secteurs: la reconstruction et le développement économique, le ralliement ou le retour des anciens combattants indépendantistes, et la promotion d’un islam présenté comme « traditionnel ». Son pouvoir, pourrait-on dire, repose sur cinq piliers. Le soutien de Poutine reste le pilier central, celui sur lequel tout l’édifice repose; le jour où Poutine, pour une raison ou une autre, lâchera Ramzan, celui-ci disparaîtra rapidement. La terreur, la reconstruction, la cooptation et l’islam forment, eux, les piliers d’angle. Ceux-ci paraissent solides, Ramzan en est fier, il s’en vante. Mais chacun est d’une certaine manière miné de l’intérieur. La terreur, bien sûr, ne sert qu’à générer de nouveaux ennemis, à pousser de nouvelles générations à « partir pour la forêt »; quant au développement économique, il se noie dans l’immense marécage de la corruption; la cooptation force de nombreux ex-indépendantistes à participer à leur tour à la répression de leurs anciens frères d’armes, et le renouveau islamique se traduit en grande partie par une guerre larvée contre la modernité et surtout le statut des femmes. (…)

Bien entendu, il est impossible d’avoir la moindre activité économique sérieuse, dans la République, sans passer par Ramzan. Si un business marche plus ou moins, ou si son propriétaire bénéficie d’une bonne protection, Ramzan le lui laisse et le taxe; s’il marche très bien, il le lui prend. Vakha, un ami tchétchène, me raconte l’histoire d’un de ses cousins, un riche homme d’affaires de Moscou, qui avait voulu racheter d’anciennes datchas, maisons de campagne ayant auparavant appartenu à une cellule locale du Parti communiste, pour en faire un village de vacances; Vakha l’envoya prendre conseil auprès d’un ancien dirigeant indépendantiste, qui lui dit: « Tu es fou? Ne viens pas mettre un kopeck ici. Ramzan te laissera faire, puis il te prendra tout. »

Comme le reconnaît Vakha, malgré sa détestation du système Kadyrov: « Le fils a des côtés positifs. Il a un bon cerveau, et il est très fort. Il force les gens à travailler. Fin 2005, quand il était encore vice-premier ministre, il a fait refaire le Prospekt Pobeda (la grande avenue centrale, depuis rebaptisée Prospekt Poutine) en deux semaines, à temps pour le Nouvel An. Il a obligé les gens à travailler 24heures sur 24, même les ministres. Ç’a été une très bonne expérience pour lui, ça lui a beaucoup appris. » Mais obliger les gens à travailler n’est qu’un aspect de sa méthode. Ramzan et ses proches ont en effet trouvé une façon très particulière de faire tourner et fructifier l’argent fédéral pour la reconstruction, ont inventé une forme assez novatrice de ce que je ne saurais décrire que comme du leveraging (un investissement réalisé avec de l’argent emprunté) – un leveraging certes fondé sur la capacité de violence dont ils disposent, mais mis au service d’une puissante machine économique. Car si tous les chefs, du plus petit au plus grand, tout au long de la chaîne, se servent sur le dos de leurs subordonnés ou de leurs « clients », une bonne partie de cet argent est prélevée à son tour par Kadyrov, et réemployée dans des projets allant de l’infrastructure de base aux constructions de prestige les plus extravagantes. (…)

DIEU EST GRAND

La stratégie religieuse du pouvoir tchétchène est limpide: promouvoir un islam dit « traditionnel », soufi, pour contrer la montée du salafisme des combattants islamiques, ceux que les Russes appellent les « wahhabis ». La Tchétchénie, historiquement, a toujours été soufie; l’islamisation des clans, au xviiiesiècle, a été effectuée par des prêcheurs soufis de l’ordre, ou tariqat, naqshbandi, venus du Daghestan, et durant le siècle qui suivit ce furent les cheikhs naqshbandi, dont le plus célèbre est l’imam Chamil, qui dirigèrent la résistance contre la poussée russe. A la fin des années 1850, au moment où Chamil était enfin acculé à la reddition par le prince Bariatinski, un jeune berger tché-tchène revenu de Bagdad où il avait été initié à l’ordre qadiri, Kounta-Khadzhi Kichiev, se mit à prêcher un nouveau message religieux quasiment quiétiste, où le djihad intérieur et l’acceptation du mal du monde extérieur prenaient la place du djihad extérieur et permanent des Naqshbandi. Même si les Russes, assez stupidement, jugèrent que le zélateur constituait une menace pour leur domination encore fragile et le déportèrent en Sibérie, où il mourut, le message de Kounta-Khadzhi se répandit comme une traînée de poudre dans la population épuisée par la guerre. Les Kadyrov, père et fils, sont des adeptes du wird (une sous-branche de la tariqat) de Kounta-Khadzhi, et le père, une fois au pouvoir, évoquait souvent le message quiétiste de ce dernier pour justifier sa politique de reddition et de collaboration. Mirzaïev, le nouveau mufti, est bien entendu lui aussi un Kounta-Khadzhi, comme Kourouïev. Mais Ramzan prend soin de ménager les autres wird qadiri ainsi que les Naqshbandi: alors que les dirigeants du muftiat débattaient pour décider à quel wird donner la direction de la Grande Mosquée, Ramzan ordonna qu’il y eût un imam différent par jour, afin que tous fussent satisfaits. (…)

Durant deux semaines, chez moi, je me suis amusé à regarder quotidiennement sur Internet le segment en langue russe des nouvelles tchétchènes: pas un jour où l’on ne voie Ramzan à la mosquée, Ramzan priant avec des anciens, Ramzan faisant le zikr, la cérémonie extatique collective typique des soufis, pour inaugurer son nouveau bureau ou recevoir un journaliste turc. Fin août, Ramzan a inauguré une université russe islamique, juste à côté de la Grande Mosquée. C’est la troisième du pays, après Kazan et Oufa, une initiative du muftiat autorisée par Moscou et financée par le Fonds Akhmad-Khadzhi Kadyrov, le FAK comme disent les gens, une fondation privée dirigée par Aïmani, la très puissante mère de Ramzan; ici, m’avait expliqué lors de ma visite Abdourakhim Moutouchev, le recteur de l’université, entre 500 et 600 étudiants par an étudieront non seulement l’arabe, le Coran et la science islamique, mais aussi le russe, l’anglais, le tchétchène, l’informatique, l’histoire et la sociologie; armés de leurs diplômes, ils fourniront des imams aux innombrables mosquées de Tchétchénie, et des professeurs d’arabe ou de « science chariatique ». Car c’est bien la charia, sous une forme ou une autre, qui est au cœur de ce projet. Ramzan et ses muftis ont beau se réclamer d’un discours traditionaliste, celui-ci n’en a que le nom.

(…) Ce sont surtout les femmes qui font les frais du « retour à la tradition » de Ramzan, de ses gendarmes et de ses imams. « La dictature qui s’installe repose aussi sur l’humiliation des femmes », constatait Natalia Estemirova en avril devant la caméra de Mylène Sauloy. Le voile est déjà obligatoire dans tous les bâtiments publics et à l’université; à l’entrée du siège de la presse tchétchène, par exemple, un panneau annonce, en lettres majuscules: « Chères femmes! Dans le but de montrer du respect envers les traditions et les coutumes nationales, nous vous prions avec insistance d’entrer dans le bâtiment la tête couverte. » Tania Lokchina, à Moscou, me raconte comment, malgré sa croix en pendentif et son visage on ne peut plus russe, elle s’était un jour fait refouler de l’université par les gardes parce qu’elle avait oublié son foulard. Ramzan et son entourage prêchent (et pratiquent) aussi très ouvertement la polygamie, multipliant les arguments sur le manque d’hommes tchétchènes après la guerre et sur l’obligation pour les femmes de « bien se comporter », menace à l’appui: « Il vaut mieux pour une femme être une seconde ou une troisième épouse que d’être tuée [pour inconduite, sous-entendu] », a déclaré Kadyrov en avril dans un entretien donné à la Rossiiskaïa Gazeta. A Grozny, des amis vous montrent les appartements des nombreuses épouses de Ramzan, facilement repérables aux gardes entourant leurs abords et aux barrières bloquant la rue. Les femmes qui attirent son intérêt ne semblent pas trop avoir le choix; seule une, m’a-t-on raconté, la gagnante d’un concours de beauté, a su assez finement résister à ses avances en lui déclarant qu’elle ne l’épouserait que si sa mère et sa première femme venaient le lui demander. La question de la conduite des femmes semble en fait obséder Kadyrov. Dans un entretien très révélateur réalisé par Ksenia Sobtchak, une célébrité russe du genre Paris Hilton, et une de ses amies journaliste moscovite, publié dans le GQ russe de juin 2008, Ramzan explique que « la femme doit apprécier [la protection des hommes] et connaître sa place. Par exemple, dans notre famille, aucune femme n’a jamais travaillé et ne travaillera jamais ».
(…) Le droit de battre ou de tuer ses femmes ou ses filles paraît si fondamental à Kadyrov qu’il en a fait un argument pour encourager le retour des Tchétchènes exilés en Occident. En février, il a réuni sur un plateau de télévision presque 400 anciens combattants, dont des figures très connues, pour les haranguer en direct durant quatre heures et vingt minutes (lorsque le présentateur a essayé de l’interrompre, au bout de deux heures, en lui disant que c’était l’heure des nouvelles, Ramzan a rétorqué: « Qu’est-ce qu’on s’en fout des nouvelles! Ils ne montrent que moi, de toute façon. »). Revenant sur un incident auquel il avait déjà auparavant donné une forte résonance, l’histoire d’une jeune fille tchétchène de la diaspora qui, battue par son père, avait porté plainte auprès de la police de son pays d’accueil, il se lança dans une extraordinaire tirade, traduite en russe sur le site Prague Watchdog: « [Le Tchétchène de la diaspora] doit déjà savoir qu’il n’est pas un homme si sa fille a le numéro de téléphone de la police enregistré dans son portable. Chaque Tchétchène a peur qu’elle appelle, essayez de me dire qu’un seul Tchétchène n’a pas peur qu’elle appelle ce numéro! S’il dit qu’aujourd’hui il est un homme, demain il ne sera peut-être déjà plus un homme, demain il ne pourra peut-être déjà plus répondre de son enfant, dire « Pan! » et lui tirer une balle au milieu du front avec un pistolet. S’il ne peut pas la tuer comme ça, est-ce que c’est sérieux? Et s’il ne la tue pas, quel genre d’homme est-ce? Il se déshonore! Aujourd’hui il est un homme, et demain il n’est plus un homme. Il ne peut pas vendre son futur ainsi! » Traduction: les Tchétchènes n’ont pas leur place en Europe, où chacun a un policier dans le dos qui l’empêche de faire ce qu’il doit faire, comme il doit le faire, quand il doit le faire. Moscou, bien entendu, voit très bien ce qui se passe, mais range ça au rayon des « traditions locales » et ferme les yeux; comme le dit Olivier Roy, le grand islamologue français, « leur obsession, c’est de contrer les « wahhabis » et, les femmes tchétchènes, ils s’en moquent, la société tchétchène en général ils s’en moquent ». Or justement, ces pratiques n’ont absolument rien de traditionnel. Les femmes tchétchènes, bien sûr, ont toujours vécu sous un contrôle social fort, mais ce contrôle ne pouvait être exercé que par les hommes de leur famille, père, mari ou frères. (…)

LA MISSION

Kadyrov, pour les Russes, est une arme à double tranchant. Et le moins qu’on puisse dire est que sa relation avec ses patrons du Kremlin et de la « Maison Blanche » est placée sous le signe de l’ambiguïté. (…) Ramzan donne l’impression de tester en permanence ses limites, de voir jusqu’où elles vont; pour le moment, publiquement du moins, personne ne semble lui en avoir posé de très précises. « C’est intéressant de voir comment le Kremlin lui donne si vite tout ce qu’il veut, sans même combattre », remarque Oleg Orlov, le dirigeant de Memorial. Aleksandr Golts, spécialiste des questions militaires, résume ainsi la situation: « Le gouvernement russe s’enfonce la tête dans le sable et espère que tout ira pour le mieux. (…) Nous n’avons aucune stratégie, que des tactiques. » Ramzan, lui, sous son air de paysan mal dégrossi, paraît guidé par une ligne réellement stratégique. Il est difficile de dire jusqu’à quel point c’est celle de son père ou de son maître à Moscou, jusqu’à quel point ses actions et ses choix servent les intérêts russes ou tchétchènes – en partie les deux, sans doute, ce qui expliquerait leur succès. Le fait est que Kadyrov, avec toute son exubérance, sa mégalomanie et sa violence, semble animé par des motivations plus profondes que le pouvoir pour lui-même ou l’intérêt. « Son père avait une mission, pensait qu’il avait une mission pour sauver son peuple », m’explique le journaliste russe Andreï Babitski dans son appartement praguois, devant une bouteille de vin et une télévision en permanence allumée sur la chaîne satellite tchétchène. (…)  » Ramzan, continue Babitski, a repris cette mission à son compte. C’est une mission reçue directement de Dieu, mission de sauver son peuple, de donner un futur à la Tchétchénie… Nous sommes tous des produits du système soviétique, ajoute-t-il un peu plus tard, nous avons appris à sacrifier le présent au nom du futur. Moralement, nous sommes des soviétiques, des bolcheviques. Rien n’a changé. Je crois que Ramzan est aussi comme ça. Le présent ne veut rien dire pour lui, seulement le futur… Et au nom de ce futur toutes les méthodes sont permises. »

 Par Jonathan Littell

Source Article from http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/10/16/la-tchetchenie-sous-la-botte-de-kadyrov_3496385_3214.html
Source : Gros plan – Google Actualités

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